L’Indépendance de Madagascar racontée par la «Voix d’or» de la Radio nationale

Sarah Tétaud/RFI Jocelyn Rafidinarivo, dans son jardin, en juin 2020. Dans ses mains, un cliché datant des années 60 où il tend le micro à des enfants, sous l'oeil du président Philibert Tsiranana.

Ce 26 juin 1960, Jocelyn Rafidinarivo a 22 ans. Comme des milliers d’autres jeunes hommes de son âge, il est au stade de Mahamasina, à Antananarivo, pour assister à la déclaration d’Indépendance de son pays, proclamée par le président Philibert Tsiranana. Ce jour-là, si l’émotion fait vibrer tout son être en entendant le mot « Fahaleovantena » (indépendance), à l’inverse des autres personnes présentes dans le stade, il ne hurlera pas sa joie. Il ne peut pas. Il est en direct, à la radio nationale. Il relate la cérémonie pour les milliers de personnes de l’île qui vivent ce moment historique, l’oreille vissée au transistor. Ce jeune homme, c’est Jean-Louis Rafidy, surnommé la « Voix d’or » de la radio nationale malgache. 60 ans après, sa mémoire est intacte. Pour RFI, il a accepté de livrer ses souvenirs de cette journée historique et des jours qui ont suivi.

 C’est dans un havre de paix, au milieu du tumulte de la capitale, que Jocelyn Rafidinarivo nous a donné rendez-vous. En contrebas du Rova, dans le quartier d’Amparibe, au milieu de constructions contemporaines, trône une maison traditionnelle tananarivienne, érigée en 1927. C’est dans cette coquette bâtisse de briques rouges, à toit à double pente et varangue, sise au milieu d’une jungle de verdure et d’essences ramenées de toute l’île, que Jocelyn est né, a grandi élevé par ses grands-parents, s’est marié, et passe désormais une retraite paisible aux côtés de son épouse, Claire.

Du rez-de-chaussée au dernier étage, les murs sont recouverts, de documents d’époque, de portraits d’ancêtres, de photos anciennes et récentes. Un musée personnel. Parmi tous ces cadres suspendus, des clichés en noir et blanc, datant des années 60, du jeune reporter à la moustache fine et élégante, micro à la main. Pas de photo de ce 26 juin 1960 pour témoigner de la présence de Jean-Louis Rafidy au stade de Mahamasina. Mais des « souvenirs intenses, incontestablement » affirme l’octogénaire au regard clair.

 Mahamasina : l’annonce officielle de l’Indépendance

Ce jour-là, le journaliste, en poste à Radio Madagascar depuis mai 1959, est désigné pour couvrir les différentes étapes de cette journée inédite. Il assiste d’abord à la signature des actes officiels entre le président Philibert Tsiranana et le secrétaire d’État français chargé des relations avec la Communauté Jean Foyer, au Palais d’Andafiavaratra, en Haute-ville : « il y avait un silence dans la salle. C’était d’une intensité extraordinaire. »

Le cortège se rend ensuite au stade municipal de Mahamasina, bondé. Les images d’archives indiquent la présence de plus de 100 000 personnes à l’intérieur. « La foule était déjà très excitée, ça bougeait dans les gradins. Les gens s’étaient fait beaux, chacun selon ses propres moyens, et sa propre stature. Beaucoup portaient le Lamba [étole malgache traditionnelle] ; ça n’avait pas été une consigne de qui que ce soit, encore moins de l’État ! C’était complètement spontané ! Il fallait le lire comme un symbole très fort, comme la marque du retour de la nationalité et de la fierté d’être Malgache. Puis quand les coups de canons ont retenti, la cérémonie a commencé. »

Dans le stade, le silence se fait. Le président Tsiranana, monte sur le « Vato masina », la pierre sacrée, comme au temps de la royauté, et annonce, en malgache, l’indépendance du pays.

« Là, il y a eu le cri de toute la foule. On ne sait plus si les applaudissements crépitaient plus forts que les interjections et les hurlements, mais c’était quelque chose d’inouï. Le journaliste que j’étais a dû se maîtriser pour ne pas exubérer, pour continuer de parler de manière solide et neutre. Car il ne faut pas oublier qu’il y avait des gens à l’époque qui étaient contre l’indépendance. Et d’autres qui avaient milité pour l’obtenir, sinon qui étaient morts pour elle… »

Dans le stade, pour la première fois, l’hymne national malagasy « Ry Tanindrazanay malala ô » résonne, seul, sans Marseillaise. Le drapeau Blanc Rouge Vert est hissé, seul. Et les spectateurs assistent au premier défilé militaire de l’histoire de l’armée malagasy. « Voir notre armée apparaître dans son propre uniforme, c’était merveilleux. Cette cérémonie du 26 juin, ça a été pour nous Malgaches, la concrétisation de toutes les luttes, depuis celles des Jean Ralaimongo dans les années 30 qui demandait l’égalité des droits entre Malgaches et Français, jusqu’à celles des nationalistes du MDRM. »

Ombre au tableau : l’absence des trois héros nationaux

Mais après la cérémonie, la fête ne se poursuit pas dans la rue. La joie est palpable, certes. Mais un regret plane dans le cœur de la population : l’absence des trois députés Raseta, Ravoahangy et Rabemananjara. Condamnés pour « crimes contre la France » en 1949 pour leurs actions commises durant la révolution de mars 47, tous vivent en résidence surveillée en France.

Tsiranana organise leur retour au pays. Le 20 juillet 1960, à leur descente d’avion, les trois hommes sont acclamés en héros. La grande fête populaire peut enfin avoir lieu. Les festivités sont planifiées pour les 29-30 et 31 juillet.

Le podium, une tradition malgache née de la fête populaire de juillet 1960.

Pendant trois jours, la capitale ne dormira plus et vibrera au son de la musique et des rires. Les gens viendront à pied, marchant de longues heures, pour assister à la fête. Femmes, enfants, tous participeront à cette exaltation.

Le soir, des bals populaires sont organisés au bord du Lac Anosy. Sur l’avenue de l’Indépendance, fraîchement rebaptisée ainsi – jusqu’au 26 juin, elle s’appelait encore Avenue de la Libération, « Libération de la France, hein, évidemment ! » lance dans un sourire Jocelyn Rafidinarivon, est installé un podium. C’est un concept totalement novateur pour l’époque qui attire des milliers de spectateurs. Sur une estrade, face à la foule, des émissions de la radio nationale sont portées sur scène, enregistrées en direct et accueillent les chansonniers et comiques en vogue. Le public est aux anges. « La population découvrait les visages des chanteurs et des animateurs de radio qu’elle entendait au quotidien sur les ondes courtes ! Elle dansait avec eux ! C’était extraordinaire pour l’époque ! »

Dans les mains de Jocelyn Rafidinarivo, deux des rares photos du 30 juillet 1960. En haut, de g. à d., Daud Ratsarazaka, Jean-Louis Rafidy et Marcellin Andriamamonjy, sur le podium. En bas, les deux premiers présentent l'émission VaryVary amin'anana.

Dans les mains de Jocelyn Rafidinarivo, deux des rares photos du 30 juillet 1960. En haut, de g. à d., Daud Ratsarazaka, Jean-Louis Rafidy et Marcellin Andriamamonjy, sur le podium. En bas, les deux premiers présentent l’émission VaryVary amin’anana. Sarah Tétaud/RFI

Des chansons phares … et prémonitoires

L’ancien élève du Studio-Ecole de la Sorafom (Société de Radiodiffusion de France d’Outremer) y présente « Vary amin’anana », l’une des plus célèbres émissions radiophoniques des années 60. De ce jour-là, il a conservé une photo. « Là, sur scène, c’est moi, avec Daud Ratsarazaka. On est en train de manger le vary amin’anana, (la soupe au riz et aux brèdes, le petit déjeuner traditionnel malgache, NDLR) au grand plaisir de tous les spectateurs qui riaient très fort de nous voir ainsi. On est le 30 juillet 1960. Sur la table, il y a les micros, et derrière nous, une troupe qui s’apprête à jouer. On est tous en costume, car on enchaînait les émissions le soir, et à cette époque, il fallait porter la cravate. Mais pour cette émission, on a revêtu nos lambas dessus. Regardez, au fond, là, on voit la foule. Elle était survoltée ! »

Sur scène, la troupe d’Odeam Rakoto fait exulter le public qui chante à tue-tête « Azonay Tsy Avelanay » (Nous l’avons obtenue [l’indépendance], nous ne la lâcherons pas), la chanson phare de l’époque, rythmée par les tambours et flûtes des musiciens. Le journaliste se souvient également avoir accueilli un autre groupe populaire de 1960 composé d’instituteurs, Arkazorama, dont le titre Sadaikatra, sakodiavatra sera interdit de diffusion à la radio, au lendemain de la fête. « Si je traduis, les paroles voulaient dire “J’ai peur, j’ai des doutes, je n’arrive pas à me calmer”. Ca exprimait l’appréhension que certains pouvaient avoir vis-à-vis de cette indépendance. La chanson a beaucoup dérangé parce qu’au moment où l’Indépendance arrivait, réclamée par certains depuis tant d’années, d’autres exprimaient leur crainte d’un avenir pas aussi rose qu’espéré. »

Les années soixante et la cristallisation d’un malaise

Les festivités prendront fin le 31 juillet 1960. Un esprit de liberté plane dans la tête de la population. Mais le fol espoir des années 60 est tempéré par la matérialisation des craintes émises par Arkazorama. Malgré les réalisations en matière d’infrastructures, de santé, d’éducation durant la décennie, la révolte explose en 72 « pour aboutir au drame », explique la gorge serrée, l’ex-animateur vedette. « Les étudiants manifestent contre les décisions culturelles et relationnelles prises par le pouvoir », lié à des conseillers français omniprésents. La révolte est brutalement réprimée et conduit à la fin du régime de Tsiranana. « Ca a ouvert la voie à une nouvelle indépendance, qui s’est soldée par cinq périodes de transition », conclut, mi-malicieuse, mi-consternée, la grande voix radiophonique malagasy.

 

    Source: rfi