Arrestation de Sonko : la colère tourne à l’émeute

© Leo Correa/AP/SIPA

Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont fait au moins un mort, jeudi 4 mars. Tandis que l’opposant doit être entendu pour répondre d’accusations de viol, une nouvelle manifestation est annoncée ce vendredi.

Un mandat d’amener a été décerné le 4 mars par le juge d’instruction chargé de l’affaire de plainte pour viol déposée contre Ousmane Sonko. Ce dernier était attendu au palais de justice de Dakar, vendredi à 9 heures, où il devait être conduit après avoir été extrait de sa cellule de la gendarmerie de Colobane.

Mercredi 3 mars au matin, alors qu’il se rendait à une convocation du juge d’instruction, il avait été interpellé pour « troubles à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée » et placé en garde à vue.

Le lendemain dans l’après-midi, il reçoit depuis sa cellule une nouvelle convocation, toujours émise dans le cadre de l’instruction pour viol. Le député la refuse : il exige que sa garde à vue soit levée pour s’y présenter. Dans la soirée, le juge d’instruction sévit et utilise une nouvelle carte : le mandat d’amener.

Double procédure

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Il devra bien répondre aux questions du juge au sujet de la plainte d’Adji Sarr, l’employée du Sweet Beauté, un salon de massage de Dakar, qui l’accuse de l’avoir violée à plusieurs reprises.

« [Les juges] se sont empêtrés dans un amalgame juridique duquel ils ont du mal à sortir », estime son avocat, Me Koureissy Ba, dénonçant une procédure « ajuridique » et « illégale ». « Comment peut-on l’accuser de participation à une manifestation alors qu’il était resté cloîtré dans l’habitacle de son véhicule ? » s’indigne l’avocat.

Selon les conseils de Sonko, le juge Mamadou Seck s’est dessaisi jeudi du dossier, qui a été transmis au doyen des juges, Samba Sall. Ce même juge qui avait été cité par Ousmane Sonko le 25 février, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il l’accusait de faire partie d’un « triangle des Bermudes judiciaire » composé du procureur de la République, Bassirou Guèye, et du juge Mamadou Seck.

L’opposant reproche aux trois hommes d’avoir mis en œuvre un « complot politique » ourdi par le président Macky Sall pour l’écarter du jeu politique.

Violences

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À la suite de l’interpellation de Sonko mercredi, des heurts ont opposé ses partisans et les forces de l’ordre dans la capitale mercredi. Après un retour au calme jeudi matin, Dakar s’est à nouveau embrasée dans l’après-midi, les rues de la capitale devenant le théâtre de scènes de violences.

Des violences ont également été rapportées en Casamance, région d’origine d’Ousmane Sonko, où un jeune homme du nom de Cheikh Ibrahima Coly a été tué à Bignona. Une enquête a été ouverte, selon le préfet de la ville, Babacar Diagne.

À Dakar, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont été intenses pendant une partie de la journée. Aux jets de pierres, les policiers ont répondu par des jets de lacrymogènes au milieu de rues bloquées par des pneus brûlés. Des scènes de pillage de magasins ont également été rapportées.

Plusieurs témoins ont également fait état de la présence de milices en civil évoluant aux côtés des forces de sécurité et s’attaquant aux manifestants. « On nous a rapporté la présence de dizaines de gros bras, dont certains sont montés à bord de voitures de l’administration sénégalaise. Ce sont des civils recrutés par le pouvoir pour violenter les citoyens », a affirmé le leader du mouvement de la société civile Y’en a marre, Aliou Sané.

Télévisions suspendues, internet perturbé
Les signaux des chaînes SenTv et Walfadjari, dont les journalistes couvraient ces émeutes, ont été coupés dans la journée par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Il a été jugé que les deux médias faisaient « explicitement ou implicitement l’apologie de la violence » en diffusant des images incitant à des troubles de l’ordre public, ou « de nature à constituer une menace pour la stabilité nationale ou la cohésion sociale ».

Dans le même temps, les locaux de RFM à Dakar, un média privé, ont pour leur part été pris pour cible par des manifestants qui accusent la chaîne d’être en faveur de Macky Sall.

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Plusieurs organisations spécialisées, dont NetBlocks, ont également fait état de restrictions observées sur internet, en particulier dans les services de messagerie privée tels que WhatsApp et Telegram, ainsi que dans les services de diffusion de vidéos, dont YouTube.

L’armée réquisitionnée

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Le gouverneur de Dakar a également fait appel à l’armée « pour le maintien et le rétablissement de l’ordre sur toute l’étendue du territoire ». Des mesures qui ont suscité l’inquiétude des organisations de la société civile. « Les militaires sont-ils formés pour le maintien et le rétablissement de l’ordre ? » s’est interrogé Seydi Gassama, le directeur d’Amnesty International au Sénégal, qui a exigé l’ouverture d’une enquête concernant les actes des forces de sécurité.

« Force restera à la loi, déclarait quant à lui le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, sur la Radio-télévision Sénégalaise mardi soir (RTS, chaîne publique). Toutes les dispositions seront prises pour qu’il n’y ait pas de débordements dans le cadre des méthodes classiques et techniques de rétablissement de l’ordre. »

Une manifestation de soutien au député, organisée par plusieurs associations de la société civile et des mouvements politiques, doit débuter ce vendredi à 15 heures depuis la place Washington, dans le centre-ville de Dakar.

  Source: Jeune Afrique