RDC: qui peut retirer des millions à Afriland First Bank?

© Studio graphique FMM Pour la première fois, les deux lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank CD témoignent à visage découvert.

Pour la première fois, les deux lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank CD témoignent à visage découvert. Gradi Koko Lobanga, chef de l’audit interne, et Navy Malela, contrôleur permanent, avaient servi de sources à une enquête de deux ONG internationales, PPLAAF et Global Witness visant le milliardaire israélien Dan Gertler, ami de l’ancien président Joseph Kabila. Depuis, les deux auditeurs ont été poursuivis par leur ancien employeur, accusés d’avoir volé des données confidentielles et de les avoir falsifiées, et « condamnés à mort », selon la banque. Documents à l’appui, M. Koko Lobanga et Malela dénoncent le blanchiment de centaines de millions de dollars. Enquête.

« Je ne l’avais pas reconnu, il portait sa kippa et il était accompagné d’un agent de sécurité », se souvient Gradi Koko Lobanga, ancien chef de l’audit interne à Afriland First Bank CD, filiale en République démocratique du Congo (RDC) d’une des principales banques camerounaises. « L’audit interne se trouve au même étage que la direction générale. Dan Gertler venait de là ». Gradi Koko Lobanga reçoit un coup de fil. Son ami et voisin de bureau, Navy Malela, à l’époque auditeur, a observé toute la scène et l’alerte. « Je l’avais vu dans un documentaire, ça expliquait comment grâce à son amitié avec l’ancien président Joseph Kabila, il contrôlait une grande partie des ressources minières du pays. »

La scène se passe début 2018 au deuxième étage du modeste siège d’Afriland First Bank CD sur l’encombré boulevard du 30-Juin, en plein cœur de Kinshasa, la capitale. L’homme d’affaires israélien et proche de l’ancien chef de l’État Joseph Kabila avait été mis sous sanctions par le Trésor américain quelques jours plus tôt, le 21 décembre 2017, avec plusieurs de ses collaborateurs et sociétés. Depuis le 15 janvier 2021, ces mesures ont été levées pour une période d’essai d’un an, une décision de dernière minute de l’administration Trump largement décriée par les ONG congolaises et internationales qui depuis plus de dix ans tentent d’obtenir des poursuites contre Dan Gertler.

Cette rencontre fortuite dans les couloirs de la banque a été le point de départ d’une réaction en chaîne qui a conduit les deux contrôleurs internes Gradi Koko Lobanga et Navy Malela sur la route de l’exil. Trois ans après, les lanceurs d’alerte acceptent de témoigner à visage découvert. Ils ont également présenté à un groupe de médias internationaux, dont Radio France internationale, des milliers de documents bancaires, la plupart inédits, pour étayer leurs accusations de malversations financières au sein de leur ancien établissement bancaire.

Selon ses états financiers, entre 2017 et 2018, le volume des dépôts à Afriland First Bank CD a doublé, notamment en raison de quelques gros titulaires de comptes, pour la plupart des sociétés liées à cet homme d’affaires israélien controversé, alors sous sanctions ou qui lui sont attribuées. Dan Gertler n’est pas la seule personnalité controversée et politiquement exposée à arpenter ces couloirs. Les nouveaux documents partagés par les deux anciens agents d’Afriland First Bank révèlent que dans ses agences peuvent se croiser des politiques congolais, des cadres administratifs d’institutions, des hommes d’affaires nord-coréens, des Libanais soupçonnés de financer le Hezbollah ou même un avocat russe se revendiquant d’une société d’espionnage israélienne. Ils ont tous en commun d’alimenter leurs comptes et de retirer en liquide des millions de dollars. Malgré les sanctions, les rapports d’ONG et même les directives de la Banque centrale du Congo (BCC), ils continuent d’opérer derrière les portes closes.

« On va avoir des problèmes »

Dan Gertler est le premier à être repéré. « Navy m’a tout de suite dit : on va avoir des problèmes », raconte Gradi Koko Lobanga, avant d’ajouter avec une pointe d’admiration : « Il a toujours eu un instinct d’inspecteur ». D’abord dans le plus grand secret, les deux hommes disent avoir commencé à mener l’enquête. « Il n’y avait plus de mouvements sur son compte, mais on a découvert que Dan Gertler avait créé tout un réseau de sociétés-écran pour blanchir son argent », affirme sans détour l’ancien patron de l’audit interne.

Navy Malela se souvient « d’opérations remarquables » avec de nouvelles sociétés qui brassaient « des dizaines ou même des centaines de millions de dollars ». « L’argent finissait sur les comptes de ses proches ou était retiré en liquide par un certain Alain Mukonda (NDLR : il dirige certaines des entreprises sanctionnées par le Trésor américain comme Ventora development) », ajoute l’ex-contrôleur permanent d’Afriland First Bank CD. Fait louche pour l’un comme pour l’autre : tous les dossiers d’ouverture de comptes pour ces nouvelles sociétés se trouvent au niveau du bureau du directeur général adjoint, Patrick Kafindo, et n’ont pas été archivés. « J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai demandé les dossiers à M. Kafindo », explique encore M. Koko Lobanga. « Quand il m’a demandé pourquoi, j’ai répondu : pour un contrôle de routine ».

Gradi Koko Lobanga sera le premier à fuir en 2018, en s’affirmant menacé, et à raconter toute l’histoire à la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte d’Afrique (PPLAAF). Son ami, Navy Malela, reste travailler à la banque à Kinshasa. Il assure avoir continué d’essayer de placer des « bribes de critique » de la gestion dans ses rapports hebdomadaires, mais dans l’anonymat le plus complet, le contrôleur permanent d’Afriland First Bank compile des milliers de pages d’informations bancaires. « Les premiers documents, je les ai envoyés à Gradi quand il m’a dit qu’il avait rencontré PPLAAF », explique l’ancien contrôleur permanent d’Afriland First Bank. Navy Malela a commencé comme informaticien à la banque : « Je n’avais pas besoin de qui que ce soit pour accéder aux informations ». Sur base des documents qui lui ont été transmis, avec une autre ONG Global Witness, PPLAAF publie le 2 juillet 2020 un rapport intitulé « Des sanctions, mines de rien » qui dénonce le contournement des sanctions américaines par le milliardaire israélien. Cela suscite une levée de boucliers de la part de la banque. Afriland First Bank CD porte plainte en France contre les deux ONG et en RDC contre les deux lanceurs d’alerte, les accusant de vol d’informations bancaires, d’abus de confiance et d’avoir falsifié des documents.

Ce n’est pas le seul rapport qui depuis l’an dernier alerte sur des transactions douteuses menées par cette banque qui travaille pourtant étroitement avec des bailleurs de fonds. En août 2020, l’ONG The Sentry, créée par l’acteur et activiste américain George Clooney, publie une enquête sur deux hommes d’affaires nord-coréens qui ont obtenu des marchés publics en RDC. C’est à Afriland First Bank CD qu’ils ont ouvert leur compte.

« Quand quelqu’un est sanctionné, faut-il le tuer ? »

Sollicité par RFI pour répondre à l’ensemble des accusations dont Afriland First Bank a fait l’objet ces derniers mois, M. Kafindo refuse de prime abord d’évoquer le rapport de PPLAAF et de Global Witness. « Cela fait l’objet d’une procédure judiciaire en France », explique celui qui, en dépit des accusations des ONG, reste le directeur général adjoint de la banque. Quant aux deux lanceurs d’alerte, « ils ont été condamnés pour vol, faux et usage de faux, association de malfaiteurs ici au Congo », assure encore Patrick Kafindo qui promet de fournir le jugement, et même « condamnés à mort », selon la banque. Jusqu’ici, ONG comme journalistes ne sont pas parvenus à en obtenir une copie, y compris auprès du tribunal qui aurait jugé ce dossier.

Me Moutet assure par ailleurs que la banque avait pris soin de transmettre la citation à comparaître aux deux lanceurs d’alerte réfugiés en Europe. Ces derniers assurent pourtant avoir appris leur condamnation par voie de presse et dénoncent la disproportionnalité de la peine au regard de ce qui est appliqué à ceux qui sont condamnés pour avoir détourné des millions de dollars dans le pays.

M. Kafindo ne dément pas avoir Dan Gertler et les deux hommes d’affaires nord-coréens, Pak Hwa Song et Hwang Kil Su, comme clients, mais conteste l’interprétation du régime de sanctions faite par les ONG. « Vous êtes allés à la Rawbank, ils vous ont dit qu’ils n’ont pas de compte de Dan Gertler ? Il a ouvert ses comptes en 2007. Il en a partout ici, dans toutes les banques », s’emporte le directeur général adjoint d’Afriland First Bank CD. « Gertler, c’est un mari, un père, un ami. Quand quelqu’un est sanctionné, faut-il le tuer ou le fuir ? »

Malgré cet élan d’empathie, Patrick Kafindo ne reconnaît pas avoir vu l’homme d’affaires israélien après sa mise sous sanctions, mais il assure que tous ses comptes et ceux de ses sociétés avaient été bloqués ces trois dernières années, conformément à la volonté du Trésor américain, ce qui devait l’empêcher d’effectuer des transactions en dollars. Quant aux deux hommes d’affaires nord-coréens et aux comptes en dollars pointés par The Sentry dans son rapport d’août 2020, le directeur général adjoint d’Afriland First Bank pointe que Pak Hwa Song et Hwang Kil Su ne sont pas nominativement sur une liste des sanctions du Trésor américain : « Ils gagnent leurs marchés avec l’État congolais et moi je dois être bloqué parce qu’il s’agit des Nord-Coréens ? ». Pour M. Kafindo, « le travail de la banque, c’est de prendre des risques ». « Lorsqu’un Nord-Coréen ouvre un compte, c’est un risque et je l’analyse », précise-t-il.

« Tout ce que tu vas voir doit rester dans ta tête »

Contre toute attente, Gradi Koko Lobanga dit obtenir de Patrick Kafindo le droit d’accéder aux dossiers en sa possession. Le directeur général adjoint l’aurait autorisé, mais l’aurait « forcé à travailler dans son bureau ». Ces documents-là, l’ancien chef de l’audit interne ne peut pas en fournir les copies. « Si j’avais su que j’allais lancer l’alerte au niveau international, j’aurais copié tous ces documents, mais je voulais simplement faire mon travail », explique M. Koko Lobanga. En lui remettant les dossiers, le directeur adjoint de la banque lui aurait fait ce commentaire : « Petit, tout ce que tu vas voir doit rester dans ta tête ». C’est d’autant plus difficile à entendre pour Gradi Koko Lobanga que cette même banque l’avait formée, y compris au Cameroun, « à questionner tout jusqu’à ce qu’il ne reste aucune zone d’ombre ». Le jeune patron de l’audit interne est un bébé Afriland et à plus d’un titre. Son père travaillait déjà dans cette même banque. « C’était un exemple à suivre pour moi », explique-t-il.

Le 26 février 2018, avec « tous les encouragements vu l’environnement à Afriland » de son collègue contrôleur permanent Navy Malela, Gradi Koko Lobanga écrit au directeur général d’Afriland First Bank et lui dit avoir décelé « des irrégularités sur les comptes de messieurs Gertler Dan et Zoé Kabila », à l’époque député et frère du président, devenu depuis gouverneur du Tanganyika. Les deux hommes se retrouvent à signer des ordres pour des comptes de sociétés alors que leurs noms « n’existent nul part » dans les dossiers d’ouverture de compte. Celui qui est encore chef de mission de l’audit interne recommande de bloquer les comptes liés à l’homme d’affaires israélien, tout en notant que cela semble déjà être le cas pour son compte personnel.

« Je ne suis gestionnaire d’aucun compte », affirme M. Kafindo. Et pourtant, dans les documents supplémentaires présentés par M. Koko Lobanga et M. Malela aux médias internationaux, dont RFI, il y a une liste de clients informatisée et attribuée au gestionnaire « 0015-KAFINDO PATRICK ». On y retrouve Dan Gertler, son associé belge Pieter Deboutte qui était aussi à l’époque également sous sanctions, leurs familles, des sociétés sous sanctions et d’autres attribuées depuis au millionnaire israélien. Sur le relevé de compte en dollars de la société Karibu Africa SA, on peut noter des mouvements après sa mise sous sanctions en juin 2018, c’est l’une des sociétés dirigées par Alain Mukonda et repérées par les deux lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank CD.

Une autre société, Western Financial Services, compte parmi ses dirigeants Zenon Mukuku, le patron d’Orama properties, une des entreprises mises sous sanctions par le Trésor américain. Parmi les bénéficiaires de ses transactions, il y a des proches de l’homme d’affaires israélien. Elle obtient quatre prêts en euros à court terme après sa mise sous sanctions en décembre 2017, entre le 28 septembre 2018 et le 7 mars 2019. Chaque nouveau prêt permet le remboursement du précédent de manière anticipée. Le dernier montant connu s’élève à 39,5 millions d’euros. « Cela pourrait être ce qu’on appelle du blanchiment d’argent par autoprêt », assure Gradi Koko Lobanga. Dans ces opérations financières, obtenir des euros semble l’un des objectifs. C’est d’autant plus crucial que l’homme d’affaires israélien ne devait plus pouvoir faire des transactions en dollars après sa mise sous sanctions.

Le cabinet d’audit international PricewaterhouseCoopers (PwC) qui certifie les comptes d’Afriland First Bank CD chaque année, semble avoir eu vent de cette opération. « La Banque a accordé au cours de l’exercice 2018 un crédit de 28,5 millions d’euros à une société qui est en partie liée à une autre société sous sanctions des organismes de contrôle », peut-on lire dans le rapport sur ses états financiers 2018. Ce montant correspond au troisième prêt successif obtenu par Western Financial Services le 27 décembre de 2018. La référence à cette mise sous sanctions est faite dans le cadre de l’examen par le cabinet d’audit « de la conformité aux lois du pays et règlements de la Banque centrale du Congo », mais cela n’est pas reflété dans l’opinion générale de PwC.

Des dizaines de millions retirés en liquide

Les amis de Dan Gertler ne sont pas les seuls à avoir un traitement privilégié. Même si la Banque centrale du Congo limite le montant de retrait en liquide à 10 000 dollars, un trésorier du Sénat obtient des mises à disposition d’un montant total de 4,4 millions de dollars entre le 24 décembre 2018 et le 14 janvier 2019 en faveur du Sénat, à l’époque présidé par l’ancien Premier ministre Kengo Wa Dondo. Cela se passe en plein processus électoral, sur base d’une simple lettre du ministre des Finances, Henri Yav Mulang, réclamant une ligne de crédit pour payer les indemnités de sortie des membres du bureau et de cabinet. Pour le directeur adjoint de la banque, Patrick Kafindo, rien d’anormal : « Nous, on n’a pas vu ça comme une élection à risque. Je ne sais pas pourquoi on devrait arrêter de travailler sous prétexte qu’il y a un processus électoral. Moi, j’ai foi en nos institutions ».

Quand le gouverneur de la riche province du Lualaba, Richard Muyej, réclame des mises à disposition en liquide de plusieurs centaines de milliers de dollars, la banque fait diligence et Patrick Kafindo dit ne pas en être informé. « À la banque, on le présentait comme son frère », se souvient l’ancien contrôleur permanent Navy Malela. « On disait que Kafindo n’était pas le directeur général adjoint pour toute la RDC, mais pour le Katanga. Il ne partait que là-bas ». M. Kafindo dément tout lien familial avec le gouverneur : « Est-ce qu’on a le même nom ? C’est un client privilégié de la banque ». Richard Muyej est aujourd’hui accusé par l’Inspection générale des finances (IGF) de ne pas pouvoir justifier 40% de l’argent reçu par son cabinet. Sollicité par RFI, l’entourage du gouverneur le dit « malade » en Afrique du Sud et dans l’incapacité de répondre à l’IGF comme aux médias.

En l’espace de cinq mois, entre septembre 2018 et février 2019, un avocat russe, Kirill Parinov, arrive à retirer plus de 50 millions de dollars en liquide via des mises à disposition pour le compte de sociétés qu’il représente. L’une d’elles, Riverside Project Management, a été créée le 22 août 2019 et moins d’un mois plus tard, les trente premiers millions sont retirés. « Est-ce que c’est parce que c’est un avocat qu’il ne peut pas être millionnaire ? », rétorque M. Kafindo. « Moi-même, j’ai posé la question à ce M. Kirill, qu’il me justifie toute l’utilisation des fonds. Il y a des expropriations en cours et des engins de chantier à faire venir pour la Corniche de Kinshasa. Vous savez combien coûte ce projet ? ».

« Le blanchiment d’argent, vous connaissez ? »

Ce projet d’aménagement de 1871 hectares le long du fleuve Congo est présenté par la société Starstone RDC qui partage la même adresse à Kinshasa que Riverside Project Management. Il a fait l’objet d’un partenariat public-privé, il est évalué à 1,3 milliard de dollars, mais il n’a reçu l’aval du gouvernement congolais qu’en août 2020. Selon une source gouvernementale, les expropriations n’ont pas encore commencé. 7 millions de dollars seront nécessaires pour compenser les riverains du fleuve. Ils devront être payés par cette société, mais ce n’est pas fait jusque-là.

Cette source gouvernementale assure ne rien savoir de ces 50 millions de dollars retirés en liquide et ne jamais avoir entendu parler de M. Kirill Parinov, mais uniquement de son associé dans Starstone RDC, l’homme d’affaires brazzavillois Serge Pereira. Les employés de Starstone RDC ne semblent pas plus connaître l’avocat russe, ni le nom de sa société Riverside Project Management. Pour Serge Pereira, ce ne sont pas les mêmes sociétés. Interrogé par RFI sur les opérations bancaires de son associé, l’homme d’affaires dit ne pas être au courant. « Cela n’a rien à voir avec nous, madame », a-t-il rassuré.

Pour rajouter à la confusion, Kirill Parinov se présente dans les médias à l’époque de ces retraits en liquide comme un membre du conseil consultatif de la société israélienne d’espionnage Blackcube qui aurait opéré en RDC. Un haut responsable sécuritaire congolais dément tout lien entre ces opérations bancaires et les activités de Blackcube. « Le blanchiment d’argent, vous connaissez ? », enchaîne-t-il de lui-même.

Les livres de comptes d’Afriland First Bank CD pourraient devenir le pire cauchemar du Trésor américain comme des ONG qui pointent de plus en plus la faiblesse du système de sanctions international et des organes chargés du contrôle en RDC. On y retrouve plusieurs des sociétés soupçonnées d’appartenir aux frères Tadjadine, les patrons de Congo Futur sous sanctions américaines depuis 2010 pour leur lien présumé avec le Hezbollah. En 2019, Global Witness mettait en garde les entreprises européennes contre l’une d’elle, IFCO, spécialisée dans l’exploitation du bois. Selon les documents présentés par M. Koko Lobanga et M. Malela, elle fait partie de ses heureux clients qui chaque année retirent des millions de dollars en liquide.

Il y a même la société Pain de ville soupçonnée d’avoir été créée par l’autre homme d’affaires libanais Saleh Assi pour contourner les sanctions américaines auxquelles il est soumis depuis décembre 2019 pour le même motif. Cette société négocie pour plusieurs centaines de milliers de dollars en devises à partir de février 2020. Une précédente enquête de RFI avait démontré que Pain de ville avait retiré près de 8 millions de dollars en liquide dans une autre banque Access Bank avant que son compte soit clôturé.

Pour le directeur adjoint d’Afriland First Bank CD, il s’agit là de faux procès. Son établissement disposerait de tous les documents requis pour justifier des mises à disposition en liquide de millions de dollars tous les mois. Cette tendance ne s’expliquerait pas par une volonté de rendre des transactions opaques, mais par la défiance des Congolais envers leur système bancaire depuis l’époque du Maréchal Mobutu. « Je me demande pourquoi vous me posez ces questions à moi », lance Patrick Kafindo. « Est-ce que les autres banques travaillent différemment ? C’est maintenant que la Banque centrale contrôle et que le Cenaref (NDLR : Cellule nationale des renseignements financiers) commence à sanctionner. Mais comment on faisait avant ? »

 Contacté par RFI, M. Dan Gertler a finalement décidé de ne pas donner suite à notre demande d’entretien. Mais il nous a fait parvenir un droit de réponse (lire la réponse intégrale en pièce jointe ci-dessous).

Selon son porte-parole, les déclarations des deux lanceurs d’alerte à l’encontre de Dan Gertler sont « entièrement fausses et franchement ridicules ». D’abord il y aurait un problème de bonne compréhension de la nature même des sanctions imposées par le Trésor américain. Dan Gertler dit par l’entremise de son porte-parole avoir consulté un cabinet d’avocats aux États-Unis. Ce cabinet aurait expliqué, toujours selon le porte-parole qu’il « n’y a pas de violation du règlement des sanctions » s’il s’agit « d’une transaction en espèces et en dollars en dehors des États-Unis, dans laquelle aucune personne ou institution financière américaine n’est impliquée ». « Jusqu’à ce que des questions lui soient posées, M. Gertler n’avait jamais entendu parler de la plupart des personnes supposées faire partie de ce soi-disant réseau », assure encore son porte-parole.

Mais pour l’homme d’affaires israélien, les deux lanceurs d’alerte seraient surtout victimes « de la conduite épouvantable de Global Witness et de PPLAAF, qui ne sont pas dignes d’être qualifiés d’ONG ». Selon son porte-parole, M. Gertler estime que Global Witness et PPLAAF devraient répondre à deux questions essentielles : premièrement, que savaient-elles du vol des données et de leur falsification, y compris avant la publication de leur rapport ? Deuxièmement, comment se fait-il que M. Malela et M. Koko n’aient pas été défendus lors de l’audience, ce qui aurait conduit, toujours selon le porte-parole de Dan Gertler, à l’imposition de la peine de mort. « M. Gertler soutiendra toute tentative de faire commuer cette peine », assure encore ce porte-parole.

Droit de réponse de Dan Gertler

De leur côté, MM. Pieter Deboutte, Alain Mukonda, Zenon Mukuku, Kirill Parinov, Zoé Kabila, Richard Muyej, Henri Yav Mulang, Ahmed Tajideen, Saleh Assi, Pak Hwa Song et Hwang Kil Su sont restés injoignables pour répondre aux allégations contenues dans cette enquête.

Sollicité par RFI, la société Blackcube n’a pas fait de commentaire officiel sur les agissements de M. Kirill Parinov qui s’était exprimé dans la presse comme membre de son comité consultatif.

Interrogé par RFI, l’honorable Jean-Philibert Mabaya, questeur du Sénat entre 2006 et 2019 sous la présidence de Kengo Wa Dondo, a assuré que les 4,4 millions de dollars retirés en liquide par le trésorier pendant les élections ont bien servi à payer la rémunération du mois de janvier et les indemnités de sortie des membres de bureau et de certains sénateurs qui n’en avaient pas bénéficié.

  Source: Rfi