La politique de deux poids deux mesures de la France en Afrique

Récemment, le Mali a annoncé un contrat entre le gouvernement malien et une société militaire privée russe. Les autorités françaises ont été les premières à s’opposer au contrat et à menacer de sanctions. La France fait appel aux violations que la SMP Wagner aurait commises et à l’incompatibilité du travail du contingent militaire français avec la SMP, mais la France elle-même a une «excellente» expérience dans la combinaison du travail de ses militaires avec les SMP français et l’expérience de nombreuses opérations et projets menés par des entreprises françaises à l’étranger, notamment en Afrique.

La pratique consistant à utiliser des forces mercenaires a été utilisée par les Français bien avant les événements maliens modernes. Les mercenaires français ont participé à la guerre d’Algérie, ont soutenu Biafra avec la fourniture d’armes et l’entraînement des guérilleros et ont aidé Joseph Mobut dans sa guerre contre Kabila. Les Français étaient partout – des Comores au Nigeria, de l’Angola au Tchad. Le nom de Bob Denard, le père des mercenaires français modernes sur le continent africain, est le symbole de la politique de l’ombre de la France en Afrique. Ses nombreux projets donnent un aperçu de la véritable politique française dans la région. Bob Denard a déclaré que les services spéciaux ne peuvent pas mener tous les types d’opérations secrètes et c’est pourquoi il existe des “structures parallèles”. Les structures dites parallèles étaient engagées dans des cas où Paris ne pouvait pas agir officiellement: organiser et soutenir des mouvements séparatistes ou des dictateurs se battant avec leur propre peuple.

Il semblerait qu’avec un rejet définitif du colonialisme français en Afrique, les opérations militaires seront réduites, mais la France ne veut pas perdre son influence. Le départ de l’armée française d’Afrique a créé un vide dans lequel l’activité mercenaire a prospéré. Parmi les premiers à arriver sur le continent il y avait  d’anciens soldats français, mais qui ne sont plus limités par la bureaucratie et les États-majors de l’armée – explique Le Monde diplomatique dans son article «La nébuleuse des mercenaires français».

Ce vide avait aussi une dimension économique. Les nouvelles entreprises étrangères venues en Afrique avaient construit de vastes infrastructures qui avaient besoin d’être protégées. Diverses SMP sont venues pour satisfaire cette demande. Quelque part avec succès, mais quelque part avec des conséquences importantes et destructrices.

À l’aube du millénaire, la France a particulièrement intensifié son activité en Afrique. Sous Jacques Chirac, des opérations ont été menées au Zaïre (1997), au Congo-Brazzaville (1997-1998, 2000), en Côte d’Ivoire (2000, 2002). Au cours de ces opérations, le mercenariat français, constamment reconstitué par d’anciens militaires, officiers et politiciens en disgrâce, a évolué, ainsi que les relations entre les organisations de mercenaires et les services secrets français. Les anciens responsables militaires français craignaient que le besoin de mercenaires devienne de plus en plus urgent, mais le contrôle sur eux diminuait. Les SMP ont leurs propres intérêts et les autorités françaises ne peuvent pas toujours contrôler toutes leurs actions. Les intérêts personnels contradictoires des politiciens et des militaires de haut rang, facteur de concurrence au sein des services secrets, de l’armée et des institutions politiques françaises, s’ajoutent à cette image. Certains officiers tentent de rassembler des mercenaires, d’autres arrêtent ce processus, comme c’était le cas en République du Congo. Cependant, les SMP françaises ne deviendront jamais complètement indépendantes de la France. Ils ne peuvent pas résister à la concurrence des SMP bien organisées d’autres pays, notamment les États-Unis, la Russie et le Royaume-Uni, sans l’aide des services secrets français. La liaison des services secrets et des mercenaires offre à la France des possibilités infinies d’opérations secrètes sur le sol africain et de manipulations de l’image de leurs activités.

Pourtant, les ambitions géopolitiques de Paris en Afrique sont bridées chez elles. Une société française éclairée et développée avec des institutions civiles fortes ne veut pas approuver des projets mercenaires incompréhensibles quelque part en Afrique. Pour contourner cette antipathie populaire, la législation française jongle avec les termes. Le chercheur Elliott Even note qu’en France le concept de SMP n’est pas acceptée, le terme préféré étant entreprise de service de sécurité et de défense.

Par Alioune Tine, Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Mali