En Côte d’Ivoire, « nous ne pouvons pas reconnaître Ouattara s’il se proclame élu »

Luc Gnago / REUTERS Pascal Affi N'Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), à Abidjan, le 14 octobre 2020.

En Côte d’Ivoire, alors qu’approche l’élection présidentielle du 31 octobre à laquelle se présente à nouveau l’actuel président Alassane Ouattara, l’opposition maintient ses appels à la « désobéissance civile » et au « boycott du scrutin ». L’atmosphère est tendue.

 Si des violences entre communautés ont déjà éclaté en plusieurs points du pays, l’opposition, regroupée notamment autour de l’ancien président Henri Konan Bédié, de l’ex-président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro et du Front populaire ivoirien, le parti fondé par Laurent Gbagbo, estime que « la répression sanglante » du régime a déjà fait 70 morts et 211 blessés.

L’ancien premier ministre de Laurent Gbgabo, Pascal Affi N’Guessan, aujourd’hui en froid avec son mentor, est le porte-parole de cette coalition. Entretien.

Quel bilan faites-vous de votre appel à la désobéissance civile ?

Le bilan est positif sur le plan de la mobilisation et de la détermination de nos compatriotes. Il y a une prise de conscience que la situation est inacceptable et qu’il faut tout faire pour la changer. Nous n’avons pas encore réussi à faire céder M. Ouattara mais nous progressons. L’élection est déjà dénaturée et chacun est conscient qu’une élection digne de ce nom n’est pas possible dans le contexte actuel.

Nous avons réussi à discréditer le processus électoral et à nous donner les moyens de ne pas reconnaître M. Ouattara comme président de la République de Côte d’Ivoire après le 31 octobre. C’est un acquis important. Il faut désormais intensifier les actions pour qu’il recule, accepte de reporter l’élection et d’ouvrir des négociations pour que nous trouvions des solutions afin de garantir un scrutin transparent et équitable.

Quoi qu’il arrive, vous ne reconnaîtrez pas Alassane Ouattara comme chef de l’Etat si sa victoire est proclamée après l’élection ?

Nous ne reconnaissons pas l’élection, alors nous ne pouvons pas reconnaître quelqu’un qui se proclame élu à l’issue de celle-ci.

Mais le pays n’est pas totalement bloqué comme vous l’entendiez ?

Il n’y a peut être pas de violences, mais vous voyez par exemple qu’Abidjan n’est pas apaisée. Les gens prennent des dispositions. Dans les supermarchés, les gens s’approvisionnent. Ils savent bien que quelque chose va se passer, que la situation n’est pas normale.

Maintenez-vous votre appel à empêcher le vote ?

Evidemment et cela a déjà commencé avec le blocage de la distribution des cartes d’électeurs, de certains bureaux de la Commission électorale indépendante [CEI]. Dans beaucoup de régions, il n’y aura pas d’élection car les bureaux ne seront pas ouverts.

Ouattara n’a pas assez de militaires pour les déployer dans tous les bureaux de vote. Dans au moins deux tiers des localités, il n’y aura pas de bureaux ouverts le samedi 31 octobre. Les chiffres qui pourront être annoncés ne traduiront aucune réalité politique.

Ne risquez-vous pas d’être condamnés internationalement pour avoir bloqué le vote ?

L’important est de triompher à la fin. La communauté internationale sait que lorsqu’un peuple est dans son droit, il utilise les moyens à sa disposition. Combattre cette dictature, ce n’est pas combattre la loi.

Craignez-vous d’être arrêté ?

Pas du tout. Ouattara peut le faire mais ça ne fera qu’aggraver son cas.

N’est-il pas paradoxal de votre part et de celle d’Henri Konan Bédié d’appeler au boycott tout en maintenant vos candidatures ?

Etre candidat c’est une chose, et réclamer de meilleures conditions électorales c’est une autre chose. Nous n’avons pas besoin de lier les deux. Se retirer serait abandonner le pays au dictateur. Nous combattons la dictature pour défendre nos candidatures et avoir une chance de concourir dans la transparence. Nous ne voulons pas démissionner.

Un gouvernement d’union nationale est-il envisageable après l’élection ?

C’est maintenant qu’il faut faire un gouvernement de transition, pas après l’élection, les morts.

Comment justifiez-vous votre alliance avec ceux que vous avez combattus comme MM. Konan Bédié et Soro ?

Souvenez-vous de la résistance contre l’occupation nazie, ce n’était pas seulement des gens de droite ou de gauche. C’est la cause nationale qui amène un peuple à se rapprocher au-delà de ses divergences. Aujourd’hui Ouattara, c’est notre Hitler.

Alassane Ouattara a dit qu’il entendait permettre le retour de Laurent Gbagbo après l’élection. C’est une bonne chose pour vous ?

On lui demande d’organiser une élection transparente et de retirer sa candidature. Il avait le temps de ne pas envoyer Gbagbo à la Cour pénale internationale. Il fait de fausses promesses parce qu’il est acculé. On sait ce que valent ses promesses. Il avait promis de ne pas être candidat et le voilà candidat. Sa parole ne vaut pas un clou en Côte d’Ivoire.

Ce qui est en jeu dans notre combat, c’est le retour de tous les exilés politiques. Nous ne demandons pas cela pour les beaux yeux de l’un ou de l’autre, mais pour la paix et la stabilité du pays. On ne peut pas obtenir la réconciliation si certains leaders sont condamnés à l’exil et leurs partisans traumatisés par cette situation.

Laurent Gbagbo est-il légitime à redevenir président du Front populaire ivoirien ?

Tous les militants sont légitimes à l’être. C’est la démocratie qui prévaut dans un parti politique et je suis persuadé que si le président Gbagbo est candidat, il a toutes les chances de le devenir.

Le soutiendrez-vous s’il est candidat ?

S’il insiste, je ne le combattrai pas.

   Le Monde